HOMMAGE AU PROFESSEUR PIERRE TOUSIGNANT

 

Le 14 juillet 2022, Pierre Tousignant succombait à une longue maladie. Diplômé du Collège Sainte-Marie et muni d’un bac en pédagogie, il avait entrepris en 1955 une carrière d’instituteur à la C.E.C.M., tout en poursuivant des études en histoire à l’Université de Montréal. Détenteur d’une maîtrise en 1960, il entreprit un doctorat qu’il devait compléter en 1971. Il eut le mérite de mener de front ses tâches comme enseignant – d’abord chargé de cours à HEC, puis chargé d’enseignement au Département d’histoire – et comme chercheur. Il enseigna parallèlement pendant plusieurs années au bac ès arts pour adultes, un programme créé en 1952 pour lequel il assuma également des tâches administratives. Ce programme fonctionnait à l’année longue et s’adressait à plus de 1500 adultes. Pierre était le dernier survivant de cette génération de collègues qui enseignèrent à ce programme avant d’accéder au rang d’adjoint au département. Sa thèse, « La genèse et l’avènement de la Constitution de 1791 » (1971, 488 p.), fit de lui le spécialiste du Canada sous le régime britannique. Ses cours comme ses publications allaient s’inscrire dans la période 1760-1867.

Sa thèse demeurée inédite n’en est pas moins souvent citée dans les études se rapportant à l’instauration du parlementarisme dans ce qui allait devenir à partir de 1791 le Bas-Canada. Il en tira plusieurs contributions sous forme d’articles, dont une substantielle introduction au vol. IV du Dictionnaire biographique du Canada : « L’incorporation de la province de Québec dans l’Empire britannique, 1763–1791 ». Il analyse le contexte en Amérique du Nord et les débats chez les élites canadiennes-françaises, la bourgeoisie anglo-écossaise et les administrateurs britanniques à propos de l’adoption de l’Acte constitutionnel de 1791. Il réfute l’interprétation anglo-canadienne attribuant la réclamation d’une chambre d’assemblée à la seule minorité anglo-protestante. Les Canadiens français furent même largement majoritaires parmi les signataires de la pétition de 1784 adressée aux autorités britanniques. De la division de la colonie en Bas et Haut-Canada allaient naître deux développements distincts, celui du Canada français et celui du Canada anglais, dans un cadre constitutionnel modelé sur celui de la métropole. Dans cette veine, Pierre collabora à une dizaine d’importants articles biographiques pour le DBC.

L’autre grande cause qui animera Pierre Tousignant sera la défense de la pensée et de l’héritage de son maître Maurice Séguin (1918-1984). Il avait déjà contribué à une première publication en 1987. En 1999, il faisait paraître Les normes de Maurice Séguin: le théoricien du néo-nationalisme. On y trouve l’analyse la plus complète du « système de normes » mis au point par Séguin à partir de 1956 et qui servit de fondement conceptuel à sa synthèse interprétative de l’histoire des « deux Canadas ». Ce document d’une centaine de pages exerça une grande influence auprès de plusieurs cohortes d’étudiants et contribua à la Révolution tranquille. Pour Tousignant, le « système de normes » de Séguin représentait une « rupture épistémologique » par rapport à l’historiographie groulxiste. Le prêtre-historien avait développé un récit en fonction d’un postulat volontariste, tandis que Séguin, en historien structuraliste, accordait la primauté au déterminisme et à l’interaction des différents « facteurs » et « forces » qui entrent en jeu dans la « dynamique intégrale » de toute société. Séguin réclamait pour la nation québécoise la liberté d’« agir (par soi) collectivement » afin de maîtriser sa vie politique, économique et culturelle. Face à ceux qui ne reconnaissaient pas l’apport du maître, Pierre se comportait en véritable artilleur au service de l’école néo-nationaliste de Montréal. Fernand Ouellet, Gérard Bouchard et Ronald Rudin essuyèrent tour à tour ses critiques.

Le dévouement avéré de Pierre en fit le volontaire pour dispenser le cours obligatoire de méthodologie (HST 1010), un cours ingrat qu’il géra de 1989 jusqu’à sa retraite en 1996. Pendant plusieurs années, même retraité, il recevait les nouveaux étudiants pour les conseiller dans leurs travaux. Pierre était très présent pour toutes les activités qu’organisait le département. C’est lui qui sollicitait la contribution des collègues à Centraide et à la campagne de financement de l’Université. Il siégea à de nombreux comités tant ceux du département que ceux de l’institution ou à la Revue d’histoire de l’Amérique française où il connut sa future conjointe et collaboratrice, Madeleine Dionne, avec qui il signa plusieurs publications. La maladie d’Alzheimer allait malheureusement mettre fin à sa fréquentation du département dans les années 2010.

Claude Morin,
professeur honoraire

La Fondation Maurice-Séguin remercie chaleureusement les députés du Bloc Québécois suivants pour leur soutien financier à la mission de la Fondation qui est d’encourager la recherche universitaire favorisant le développement national du Québec.